Historiquement, le « peuple de gauche » dont il faudrait peut-être redéfinir les contours, est attaché à l’union. Planent toujours les puissants souvenirs du Front Populaire en 1936 qui a vu les communistes abandonner une part de leurs velléités bolchéviques et se ranger derrière Léon Blum, et celui de Mitterrand qui a réussi à les convaincre de le suivre en 1981, en échange de quatre ministères. Ces « unions » de la gauche se sont toujours concrétisées à l’initiative et sous le contrôle des socialistes. Le modèle s’est d’ailleurs dupliqué très souvent et un peu partout à l’échelle locale. Nombre de maires socialistes de grandes villes passent avec des communistes, des écologistes ou autres partis dits de gauche, des accords leur permettant essentiellement de remporter les élections, et parfois de gouverner ensemble. Le Parti Socialiste étant sans ambiguïté institutionnel, les politiques appliquées à la suite de ces accords sont d’essence social-démocrate.
Aujourd’hui, sur le plan national au moins, les cartes ont été rebattues.
Lors de l’élection présidentielle, les français ont désigné La France Insoumise comme principal parti de gauche, sans peut-être pleinement réaliser que cette formation et son chef Mélenchon sont très clairement d’extrême gauche, tellement à gauche d’ailleurs, que sur bien des sujets ils rejoignent l’extrême droite sur le cercle politique.
Comme le Rassemblement National est la propriété historique de la famille Le Pen, LFI est la « chose » de Mélenchon, président jamais élu mais autoproclamé, candidat à la présidentielle jamais désigné mais autoproclamé, et, évidemment candidat encore autoproclamé au poste de Premier Ministre.
Contrairement aux partis dits institutionnels, les insoumis prennent régulièrement des libertés avec la démocratie. On voit bien qu’ils ne sont favorables au suffrage universel que lorsqu’ils gagnent les élections.
Dès le soir du second tour, les éléments de langage ont envahi les médias : Emmanuel Macron serait mal élu si l’on prend en compte l’abstention. S’il est exact de dire qu’il a obtenu le vote de 38,5% des inscrits, les insoumis oublient de rappeler qu’aux dernières législatives, Mélenchon fut élu avec 19,9% des inscrits, Quatennens 17,9%, Autain 17,5%, Coquerel 15,5% etc… Macron n’a peut-être pas été très bien élu, mais il l’a été, deux fois de suite, et Mélenchon signe sa troisième défaite, le tout de manière régulière tout en se déclarant vainqueur ! On a vu également Clémentine Autain reprendre la théorie selon laquelle faute de victoire lors des élections législatives que d’aucuns qualifient de « troisième tour », il faudrait aller la « chercher dans la rue« .
N’oublions pas que Mélenchon lui-même a plusieurs fois au cours de sa longue carrière politique, appelé à l’insurrection. Voici, par exemple, car il y en a plusieurs du même tonneau, un de ses tweets, daté du 19 septembre 2019 : « Dans la constitution de 1793 qui fonde la République, l’insurrection est un droit et un devoir. Vous ne pouvez pas empêcher des gens comme moi de penser que les attitudes d’insurrection personnelle sont la garantie pour que vive la flamme de la République. » Edifiant, non ? Un autre député insoumis a même récemment appelé à « chasser Macron« . Déjà en 2017, au soir du second tour, lors de sa première déclaration, Mélenchon avait refusé de reconnaitre sa défaite. Bref, avec La France Insoumise, la démocratie n’est acceptable que si le résultat est conforme à ses attentes. Cela porte un nom : le fascisme.
Ce point devrait suffire à empêcher toute discussion entre les amis de Monsieur Mélenchon et des démocrates républicains. Or, à l’évidence, ce n’est rédhibitoire ni pour les communistes actuels qui avalent tout de même de grosses couleuvres (sur le nucléaire notamment), ni pour les écologistes, ni, et c’était jusqu’à présent inimaginable, pour les dirigeants socialistes actuels.
Le rapport de forces est évidemment favorable aux insoumis.
Est-ce une raison suffisante pour céder face à Mélenchon qui a approuvé publiquement Poutine lorsque celui-ci a annexé la Crimée et bombardé Alep ?
Est-ce raisonnable de discuter avec un responsable politique qui, sur les sujets de l’OTAN, l’Europe, l’Ukraine, les Etats-Unis, les Gilets Jaunes, la Covid, la Syrie, les retraites, etc… est raccord avec l’extrême droite ?
Olivier Faure, le 7 mars 2022, twittait : « Confondre agresseurs et agressés, entretenir le confusionnisme et le relativisme, c’est ce que fait JLM d’Alep à Kiev, de Kiev à Bamako. Honteux et dangereux. La paix ce n’est pas la reddition face à tous ceux qui foulent au pied les droits humains fondamentaux« . Aujourd’hui, il négocie avec lui des circonscriptions en faisant mine de ne pas accepter le programme, ce qui revient à fermer les yeux sur les exigences mélenchoniennes suivantes :
« Certaines règles européennes sont aujourd’hui incompatibles avec la mise en œuvre de notre programme :
- Les traités de libre-échange s’opposent au protectionnisme écologique
- La concurrence libre et non-faussée empêche la constitution de pôles publics et la sortie des biens communs du marché
- Le carcan budgétaire nous enferme dans l’austérité et réduit notre capacité à investir dans la bifurcation écologique et sociale
- La libre-circulation des capitaux nous empêche de reprendre le pouvoir sur le secteur financier
- La politique agricole commune promeut un modèle contraire à une agriculture paysanne, biologique et respectueuse du bien-être animal
- L’absence d’harmonisation sociale et la directive sur le travail détaché mettent en concurrence les travailleurs
- L’impunité des paradis fiscaux européens menace nos recettes fiscales et le consentement à l’impôt
- L’Europe de la défense nous enferme dans les velléités belliqueuses de l’OTAN
- Le statut de la banque centrale européenne nous oblige à mettre l’Etat dans la main des marchés financiers pour nous financer
J’en passe, et des meilleures. Par exemple le point 62 du programme de Mélenchon qui annonce l’adhésion à l’alliance bolívarienne dont les principaux pays fondateurs sont Cuba et le Vénézuéla et les pays observateurs la Russie et l’Iran. Ça prêterait à rire si ce n’était pas aussi sérieux, dramatique, même…
Le Parti socialiste a depuis des lustres accepté l’économie de marché, LFI la combat.
Le PS est un ardent défenseur de l’Europe, LFI joue sur les mots avec son concept fumeux de désobéissance mais son programme valide un Frexit en bonne et due forme.
Le PS défend la laïcité quand LFI accumule les indulgences coupables à l’égard des islamistes.
Les socialistes votent sans hésiter les mesures de soutien à l’Ukraine par l’Europe quand les députés insoumis, au mieux, s’abstiennent.
Le PS a voté la loi confortant les principes de la République, dite loi sur le séparatisme. LFI veut l’abroger.
LFI souhaite investir Taha Bouhafs que les députés insoumis s’efforcent de nous présenter comme un jeune journaliste talentueux « pas raciste » du tout. C’est vrai qu’il a une carte d’identité de journaliste (n°134463) qui lui a été délivrée probablement parce qu’il est propriétaire d’un smartphone qui lui permet de filmer les manifestations. Son titre de gloire est l’affaire Benalla. C’est lui, en effet, qui l’a filmé entrain de tabasser des manifestants, et il a bien fait de le faire savoir. Mais c’est aussi et surtout un agitateur antisémite qui provoque les forces de l’ordre et produit des fake news. Il a notamment posté les tweets suivants :
- 19 avril 2018 (en respectant l’orthographe du « journaliste ») : « Je me suis fait agressé et écarté par des CRS de la rue en face de l’Université de Tolbiac pour m’empêcher de témoigner aux médias de la situation. Coup de matraque dans le ventre discrètement. La fac est maintenant accessible uniquement aux policiers et aux journalistes«
- 20 avril 2018 : « les CRS épongent le sang des étudiants à l’intérieur de la fac (Tolbiac) pour ne laisser aucune trace. » ce qui était faux, et reconnu comme tel.
- Pas de date précise mais en 2018 : « Macron veut qu’on aille le chercher, on y va ? » en partageant un sujet intitulé « comment destituer le président de la République ».
- 30 octobre 2019 : « Les pouilleux de Charlie Hebdo n’existent qu’à travers notre indignation. Cessons de commenter leurs unes dégueulasses et ils cesseront d’être.«
- En réponse à Benoit Hamon : « Sale sioniste veut dire sale juif ? Sacré Benoit, c’est bientôt le dîner du CRIF et t’as toujours pas envie d’être privé de petits fours, je comprends. » (l’humour de Taha)
Il a été condamné (appel en cours) pour insulte raciste à l’égard d’une syndicaliste policière traitée « d’arabe de service« .
Une phrase encore au sujet de la députée Obono qui a dit ne pas avoir pleuré Charlie et qui a, par exemple, signé une pétition intitulée « Nique la France » ne relevant aucunement du second degré.
Voilà le genre de personnes que Mélenchon investit aux législatives pour représenter le peuple français à l’Assemblée Nationale. Cela devrait susciter de véhémentes protestations de la part des responsables politiques et de certains médias. Il n’en est rien et c’est très préoccupant. Cela aurait dû être un des nombreux casus belli pour un parti socialiste respectueux de son histoire, de ce qui fonde son identité.
Si Mélenchon devenait Premier Ministre, la France ne s’en remettrait pas. Nous deviendrions les alliés de Poutine contre le reste de l’Europe, et nous subirions une dégradation économique donc sociale très rapidement irréversible.
Il n’y a visiblement plus, chez ces interlocuteurs de la France insoumise, de ligne infranchissable, de digue solide protégeant du populisme, permettant de s’accrocher coûte que coûte à ses convictions les plus profondes.
Depuis qu’il a quitté le parti socialiste, Mélenchon n’a de cesse de le torpiller. Ne disait-il pas il y a peu, que le PS est « un astre mort » ? Il faut singulièrement manquer d’orgueil pour accepter de négocier avec lui en raison de son programme bien sûr, mais aussi de son attitude, de ses insultes incessantes. Le résultat est que plus de 500 circonscriptions n’auront pas de candidat PS, ou soutenus par le PS. Il y aura quelques dissidents, et, malheureusement, une probable aggravation de l’abstention.
Le parti socialiste devrait ne pas pouvoir poursuivre son histoire avec ses dirigeants actuels ou passés cherchant à revenir aux affaires. Bernard Cazeneuve a clairement manifesté sa rupture, Carole Delga également et quelques autres… Toutes et tous ont un quinquennat devant eux pour reconstruire un parti à nouveau audible, capable de stopper l’hémorragie, l’attraction des classes populaires par les extrêmes de tous bords.
Il y a urgence, pour la démocratie, pour la France et pour l’Europe.
Marc T.
Post Scriptum le 15 mai : cet article a été rédigé le 5 mai. Depuis Taha Bouhafs a été écarté. Non seulement il présente les qualités décrites plus haut, mais il est depuis accusé de violences sexuelles. LFI ayant décidément une conception particulière de la justice, le parti aurait « réglé le problème en interne ». Donc sans plainte, sans procureur, sans juge, un peu comme le font ou tentent de le faire les sectes…