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Premier de cordée : fantasme ou réalité ?

Personne n’a oublié la tirade d’Emmanuel Macron, à peine élu, reprenant le titre d’un roman célèbre de Roger Frison-Roche : Premier de cordée.
Que n’avait-il dit, ce jour-là ! L’ensemble de son opposition politique, de droite et de gauche, de gauche surtout, interpréta son propos comme une ode, non seulement à la réussite, mais aux riches, qui ont forcément prospéré au détriment de ceux qui ne le sont pas. Ils suffit de taper « premier de cordée » sur un moteur de recherche pour constater que l’interprétation de l’expression se résume à un millionnaire au sommet d’une montagne, avec cigare champagne et billets de banque, méprisant les autres membres de la cordée transpirants sang et eau pour le « premier » d’entre eux.

Allégorie de l’exploitation de l’homme par l’homme. Au début de son mandat, le Président de la République a multiplié, volontairement ou pas (?) les phrases à l’emporte-pièce : traverser la rue, se payer un costard etc… et donc, cette histoire probablement mal comprise de premier de cordée. Le nombre de personnes qui se sont senties outragées par cette expression témoigne d’un sérieux manque de pédagogie, et relève à minima de la maladresse.

En réalité, qu’est-ce qu’une cordée ? Il s’agit d’un groupe d’alpinistes tous reliés par une même corde. Le principe de base est que du second au dernier, tous s’en remettent au premier pour atteindre l’objectif du groupe : arriver au sommet dans les meilleures conditions possibles. Le premier est le chef. Il décide de la stratégie à appliquer, du chemin à emprunter, et sécurise l’ascension pour l’ensemble de l’équipe. Il prend l’essentiel des risques et fait en sorte de les éviter à ses coéquipiers. L’accident n’est pas exclu, et quand il arrive, c’est toute la cordée qui en subit les conséquences. La responsabilité du premier est donc immense. On voit très bien que le principe de la cordée s’applique aisément à la famille, au monde du travail, et notamment à l’entreprise, à n’importe quelle équipe de sport collectif, pratiquement à tout groupe constitué, un orchestre ou un parti politique par exemple.

Si dans la famille, ce rôle revient naturellement aux parents, dans tous les autres cas de figure, il incombe à une personnalité qui s’est affirmée dans une position de leader. Comme quelqu’un qui est en mesure de définir un projet, de fixer des objectifs, d’élaborer une stratégie pour les atteindre, qui est capable d’entraîner d’autres personnes dans l’aventure, que celle-ci soit économique, sportive, culturelle ou associative…

Finalement la question tourne autour de la définition du leader. Affaire de personnalité, la plupart du temps. Émergence par la maîtrise d’un sujet, par un engagement supérieur, par le charisme, par la motivation à le devenir. Passons ici rapidement sur l’égalité des chances, sujet bien sûr majeur car l’accès à l’éducation, à la formation, à la culture ne sont toujours pas équitables (j’y reviendrai), mais par exemple, un super capitaine d’une équipe de rugby n’est pas obligatoirement un thésard, et un excellent cuisinier n’est pas forcément capable ou enclin à diriger une brigade.

Les qualités intrinsèques ne sont bien sûr pas les mêmes d’un individu à l’autre, et pas non plus équitablement réparties au sein d’une population. Ce n’est pas très politiquement correct de l’affirmer alors que cette évidence est admise partout : il y a des gens plus ou moins doués dans certains domaines, des champions, des besogneux, des amateurs, et des nuls. Ce langage est unanimement accepté lorsque nous parlons de sport. Refuser de le transposer dans les autres de nos activités relève de la mauvaise foi, ou d’un aveuglement dogmatique.
Imagine-t-on Tintin second d’une cordée qui serait conduite par le Capitaine Haddock ? Non bien sûr ! Nous savons bien que Tintin est plus futé, plus agile et bien plus fiable que le Capitaine. Tintin est premier de cette cordée, et c’est une évidence. C’est ainsi dans la vie, certains se distinguent, prennent des initiatives, innovent, ont des qualités d’entraînement, et d’autres ont des arguments ou des objectifs différents. Alors oui, mille fois oui, nous avons besoin du plus grand nombre possible de premiers de cordée, car notre développement, qu’il soit économique, social ou culturel dépend beaucoup d’eux.

Emmanuel Macron a manqué de tact, de pédagogie, d’empathie cet jour-là à l’égard d’une bonne partie de la population. Mais plus nous aurons de leaders dans tous les domaines, capables de créer, d’innover, d’entraîner les autres et mieux nous nous porterons. Les premiers de cordée ne sont pas tous riches, ne sont pas tous célèbres, mais sont tous nécessaires à notre développement et notre bien-être. À l’équilibre harmonieux de notre société.

Marc T.